Portioncule

"Cette chapelle plus que modeste lovée au pied de la colline d'Assise était plus ou moins abandonnée
du temps de François. Celui-ci en a fait son lieu de refuge ou de halte. C'est là aussi qu'entouré de ses
frères, il poussera son dernier soupir. Abritée aujourd'hui par une immense bâtisse qui sert à accueillir
les très nombreux visiteurs, elle est soumise à un continuel brouhaha provenant d'une foule en mouvement.

Par contraste, à l'intérieur de la chapelle règne une intense atmosphère de recueillement. Dans la pénombre
éclairée de lampes basses, de flammes de bougies et du lumignon du tabernacle, les gens assis sur les
quelques rangées de bancs s'abîment dans la prière. Priant, ils se sentent entendus, consolés - touchés qu'ils
sont par la rare sensation d'union avec quelqu'un qui a intensément vécu ici, un grand vivant, un grand
aimant, un de ces saints qui sont allés le plus loin possible sur la voie que leur Maître avait tracée."

François Cheng - "Assise, une rencontre inattendue"
 

Saint-Damien

"Soulignera-t-on jamais assez l'importance de Saint-Damien dans la vie de François ? C'est là que le Christ,
à travers le crucifix, lui a parlé. C'est là que Claire et ses compagnes, épousant l'idéal de François, ont fondé
la première communauté clarisse. C'est là que, jusqu'au bout, il revenait sans cesse pour se ressourcer, pour
se laisser porter par la suprême inspiration. En ce lieu médian, à mi-hauteur de la colline, au terme d'une vie
de pérégrinations et d'épreuves, il a trouvé l'exacte mesure de sa capacité humaine, en composant le
Cantique du soleil - plus communément appelé Cantique des Créatures - ce chant d'accueil, de célébration
et surtout de réconciliation qui, jailli du tréfonds de l'âme, n'en finit pas de propager sa force persuasive.
Quiconque l'entend est à même de le faire sien."

François Cheng - "Assise, une rencontre inattendue"
 

Carceri

"Lors de ce premier séjour à Assise, j'ai fait deux fois le pèlerinage aux Carceri. Il s'agissait bien d'un
pèlerinage cette longue montée assez éprouvante vers le haut lieu hanté par l'esprit mystique du saint.
Démarche qui m'était familière tant la tradition chinoise a exalté elle aussi l'expérience de ceux qui
faisaient l'ascension d'une montagne à la recherche d'un moine ou d'un ermite.

À l'époque, Assise n'était pas "modernisée" comme aujourd'hui. Seul un chemin de terre grimpait en
lacets entre rochers et broussailles. À chaque tournant, on changeait de point de vue et de perspective
sur la vallée. À mesure qu'on atteignait les hauteurs creusées de plis et de replis, on entrait dans une
zone boisée, et le monde d'en bas n'était plus visible. A milieu des fûts de hauts conifères, on suivait
un sentier qui conduisait à la grotte - depuis longtemps cachée par les cellules d'un monastère -  où
François avait trouvé ce qu'il recherchait : une radicale solitude où l'humain ne peut plus dialoguer
qu'avec l'invisible Créateur..."

François Cheng - "Assise, une rencontre inattendue"
 

Extrait du très beau livre de André Weill :
Sur le Chemin d'Assise, présence et simplicité :

Saint Damien. 

"À environ un kilomètre de la Porta Nueva, en contrebas des remparts de la ville, voici la chapelle
Saint-Damien. En ruine, elle fut reconstruite en 1206 par François. A cette époque, il a vingt quatre ans
et cherche sa voie. Ses années de jeunesse lui ayant procuré plaisirs et souffrances, il découvre l’agitation
et le vide de la vie du monde. Par étapes successives, il renonce au modèle parental, à la vie chevaleresque
et aux commerces en tous genres. De chapelle en église, il supplie le Christ de l’éclairer sur la voie à suivre.
Et c’est devant le crucifix de la chapelle Saint-Damien qu’il entend une voix lui dire :
« François, va, ne vois-tu pas que ma maison tombe en ruine. »
Cet événement marque sa vie. Il visite souvent la chapelle et son crucifix. Et c’est à Saint-Damien que,
vers la fin de sa vie, il compose le Cantique des Créatures.

Invité à se mettre en route, le pèlerin prie avec ses chaussures. Il suit le chemin d’Assise.
François, lui, suit la voix de l’évangile. Au pied de la lettre. Au pied du Tau, sans négocier quoique que
ce soit. Il se procure d’abord les outils et les matériaux nécessaires. L’argent vient de la vente de son cheval
et de draps du commerce paternel. Ce qui lui vaut quelques retentissantes oppositions familiales, ecclésiales
et judiciaires.

François, prie avec ses mains et son fil à plomb. Il connait deux métiers. Le jour il maçonne la terre, la nuit
il peint le ciel. Dans les deux cas, il a le vertige. Et parfois doute de la verticalité de son entreprise.
Car il faut beaucoup de patience à la truelle pour se convertir en bâtisseur de l’église universelle.
Oui, ce n’est que dans la quotidienneté du geste que la sainteté infuse jusqu’à la toile de l’être. Ainsi la lente
et solitaire conversion de François. Ainsi la lente et solitaire conversion du pèlerin."


Au bout du chemin, clarté dans la nuit..."

Au bout du chemin, rien n’a changé. Les cierges et les encens se répandent dans la ville et se diluent chaque
nuit en incantations ensorcelantes. Assise est là, éternellement, enracinée en sa pauvre prière. Ce soir, comme
chaque nuit depuis huit siècles, gardienne de la lumière du monde, elle s’évade de sa prison terrestre.

Assise est là, sera toujours là, balise mystique de toute créature. Toujours là jusqu’à ce que le dernier séisme
fasse rouler la dernière pierre vers le bas, vers la plaine, vers le fiume Chiasco, qui les emmènera vers la mer,
destin commun à toute chose pesante. Destin des apparences physiques, destin conjoint à toutes forme en
marche vers la résurrection.....

..... Je t’aime François, même si cette expression cette nuit pourrait te faire croire de ma part à quelque
rechute en l’illusion des mots. Mais non François ! Les mots ne se sont déposés là que pour dire et chanter
la page blanche de Sa Création. Car, ce que tu es François, dit exactement ce que je suis vraiment.
Et c’est béatitude que de le réaliser.

François je t’écris
De ce chemin d’Assise
De ce bâton de parole
De nos sangs emmêlés

François je te crie
De mes yeux éblouis
De mes cris de lumières
De nos soleils féconds

François je t’écrie
J’ai tout épris de toi
Que le ciel est ici
Qu'il fait vie à minuit

Et si vous demandez au chemin d’Assise ce qu’il est venu faire dans ma vie, il vous répondra :
Vivre la vie à voix haute, main tenante et à j’aimais. Ainsi !
 

Cantique des créatures

Très haut, tout puissant
et bon Seigneur,
à toi sont louange, gloire, honneur,
et toute bénédiction.
À toi seul ils conviennent,
ô Très-Haut,
et nul homme n’est digne
de te nommer.

Loué sois tu, Seigneur,
dans toutes tes créatures,
spécialement messire frère Soleil,
par qui tu nous donnes le jour, la lumière ;
il est beau, rayonnant d'une grande splendeur,
et de toi, le Très Haut,
il nous offre le symbole.

Loué sois tu, mon Seigneur,
 pour sœur Lune et les Étoiles.
Dans le ciel tu les as formées,
claires, précieuses et belles.

Loué sois tu, mon Seigneur,
pour frère Vent,
et pour l'air et pour les nuages,
pour l'azur calme et tous les temps,
par lesquels tu donnes soutien
à toute créature.

Loué sois tu, mon Seigneur,
pour sœur Eau,
qui est très utile et très humble,
précieuse et chaste.

Loué sois tu, mon Seigneur,
pour frère Feu
par lequel tu éclaires la nuit :
il est beau et joyeux,
indomptable et fort.

Loué sois tu, mon Seigneur,
pour notre sœur et mère la Terre,
qui nous porte et nous nourrit,
qui produit la diversité des fruits
avec les fleurs diaprées
et les herbes.

Loué sois tu, mon Seigneur, pour ceux
qui pardonnent par amour pour toi ;
qui supportent épreuves et maladies ;
heureux s'ils se maintiennent dans la paix,
car par toi, Très Haut,
ils seront couronnés.

Loué sois tu, mon Seigneur,
pour notre sœur la Mort corporelle,
à qui nul homme vivant ne peut échapper.
Malheur à ceux qui meurent
en péché mortel ;
heureux ceux qu’elle surprendra
faisant ta volonté,
car la seconde mort ne pourra leur nuire.

Louez et bénissez mon Seigneur,
rendez-lui grâce,
et servez-le en toute humilité !